Les jeunes sociétés, startups et sociétés en développement recourent fréquemment à des travailleurs indépendants ou « freelances » immatriculés sous le statut d’auto-entrepreneur pour renforcer temporairement leurs équipes, faute de pouvoir embaucher en contrat à durée indéterminée dans la durée ou pour éviter les lourdeurs et le coût du salariat.
Cette pratique n’est pas sans risque pour les sociétés qui la pratiquent.
Quels sont les risques encourus par la société ?
Un redressement URSSAF
En cas de contrôle, l’URSSAF peut redresser la société et réintégrer le montant des factures payées à l’auto-entrepreneur pour ses prestations, dans l’assiette des cotisations sociales dues par la société en sa qualité d’employeur. Le redressement peut porter sur l’année en cours et des trois années précédentes, voire 5 années en cas de travail dissimulé.
Une condamnation pénale pour travail dissimulé
Recourir à des travailleurs indépendants pour éviter l’application du droit du travail et le paiement des cotisations sociales est un délit pénal ! Confier des tâches qui devraient en principe être confiées à un salarié à un « faux » indépendant est fortement sanctionné par le Code du travail au titre du délit de travail dissimulé (article L. 8224-1 et suivants du Code du travail).
Les sanctions sont lourdes :
- 3 ans d’emprisonnement ;
- 225.000 euros d’amende ;
- Peines complémentaires pouvant être prononcées :
- dissolution de la société ;
- interdiction d’exercer ou de gérer une entreprise ;
- exclusion des marchés publics ;
- publicité de la condamnation pénale et diffusion sur une « liste noire » sur le site internet du ministère du travail,
- remboursement de subventions et aides publiques,
- paiement des rémunérations, indemnités et charges dues pour l’emploi de salariés ;
- paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires, des pénalités et majorations dus au Trésor public ou aux organismes de protection sociale,
- interdiction des droits civiques, civils et de famille.
La requalification du contrat de prestation de services en contrat de travail
En cas de conflit avec l’auto-entrepreneur, survenant souvent lorsque la société met fin à son initiative à la relation contractuelle avec l’auto-entrepreneur, celui-ci pourrait revendiquer en justice l’existence d’un contrat de travail pour faire requalifier la rupture du contrat par le Conseil de prud’hommes en licenciement abusif, sans cause réelle et sérieuse.
Une telle requalification lui donnera le droit au versement de l’indemnisation financière applicable en matière de rupture du contrat de travail (paiement du préavis, indemnité de licenciement, dommages et intérêts, intéressement, prime, ancienneté, paiement des heures supplémentaires et des congés payés, etc.), ce qui peut s’avérer parfois coûteux.
Dans quels cas la relation contractuelle peut-elle être requalifiée en contrat de travail?
La Chambre sociale de la Cour de cassation a récemment rappelé (Cass. 2e civ. 28 novembre 2019, n° 18-15.333 FP-PBI, Sté transport Wending c/ Urssaf d’Alsace) que la présomption légale de non-salariat dont bénéficient les indépendants et notamment les auto-entrepreneurs au titre de l’article L 8221-6 I du Code du travail, peut être renversée s’ils se trouvent dans les faits dans « un lien de subordination juridique permanente » à l’égard de la société recourant à leurs services.
Qu’entend-on par un « lien de subordination juridique permanente » ?
L’affaire concernée, bien que concernant une activité de transport, est intéressante à ce titre car la Cour de cassation valide le raisonnement retenu par la Cour d’appel qui a procédé à une analyse des conditions matérielles et factuelles dans lesquelles l’auto-entrepreneur était intervenu pour le compte de la société de transport pour qualifier l’existence d’un lien de subordination juridique permanent et valider le redressement URSSAF.
La Cour d’appel avait considéré que du fait qu’il « lui était demandé de conduire des camions afin d’effectuer des livraisons sur des chantiers ; que les véhicules étaient mis à sa disposition par la société qui en assurait l’approvisionnement en carburant et l’entretien ; qu’il utilisait la licence communautaire de la société et se présentait sur les chantiers comme faisant partie de la société de transport ; que les disques d’enregistrement étaient remis à cette dernière » démontrait que l’auto-entrepreneur « était assujetti au pouvoir de subordination de la société, que ce soit en ce qui concerne les tâches à effectuer, les moyens mis à sa disposition, et les dates de ses interventions ; qu’il n’avait donc aucune indépendance dans l’organisation et l’exécution de son travail ».
Que faut-il retenir ?
Peu importe que le prestataire ait été employé sous un statut juridique d’auto-entrepreneur, seules les conditions de fait dans lesquelles l’activité est exercée sont retenues par les juridictions pour qualifier ou non l’existence d’une relation de travail.
Les parties ne peuvent donc déroger par la conclusion d’un contrat de prestation de services à l’application du droit du travail si les conditions d’exercice de la mission du prestataire revêtent les caractéristiques d’un véritable lien de subordination.
Comment minorer les risques ?
Lorsque que vous avez recours à des indépendants/freelances pour l’exécution de certaines missions ponctuelles :
- En tout premier lieu vérifiez qu’il est bien inscrit en qualité d’indépendant auprès du RCS, de l’URSSAF, du répertoire des Métiers, ou en qualité d’auto-entrepreneur, à défaut la présomption de non-salariat ne pourra jouer en votre faveur ;
- Veillez à ce qu’il dispose de toute la latitude pour organiser son travail en toute indépendance vis-à-vis de votre structure, notamment en évitant de fixer des horaires de travail et en le laissant utiliser son propre matériel pour réaliser sa mission (matériel informatique, logiciels, véhicule, etc.) ;
- Donnez un cahier des charges et vos attentes pour réaliser la mission et soyez spécifiques dans l’objet des missions que vous lui confiées, une mission imprécise ou même l’absence d’objet de la mission peut contribuer à caractériser le travail dissimulé ;
- Faites établir un devis, un bon de commande et une facture pour les prestations réalisées par ses soins ;
- Évitez de lui donner l’apparence d’un salarié de l’entreprise dans l’exécution de sa mission (carte de visites et email professionnels au nom de la société, bureaux permanent dans l’entreprise, fonctions organisationnelles ou hiérarchiques au sein de la structure, etc.) ;
- Prêtez une grande attention à vos échanges par email avec votre prestataire et éviter de donner des instructions contraignantes ou de manière péremptoire ;
- Ne tombez pas dans le contrôle absolu et disciplinaire des tâches réalisées par votre prestataire ;
- Laissez le prestataire fixer librement ses jours de congés, qui peuvent ou non tenir compte des impératifs organisationnels de la Société ;
- Vérifiez que vous n’êtes pas le seul client de votre prestataire car en situation de mono-clientèle la présomption de non-salariat s’en trouve grandement affaiblie et augmente fortement le risque de requalification de la relation contractuelle en contrat de travail.